Pollution de l’eau : cote d’alerte exceptionnelle !
par Marc Laimé, 12 janvier 2008
Un rapport de l’Institut français de l’environnement (Ifen) publié le 11 janvier 2008, révèle que neuf rivières françaises sur dix contiennent un ou plusieurs pesticides, ainsi que la moitié des eaux souterraines. Hasard du calendrier, l’Institut national de Veille Sanitaire (InVS) publie conjointement un « Guide sur les infections dues à l’eau distribuées » qui témoigne des insuffisances regrettables des contrôles effectués lors de la survenue d’épisodes de contamination qui affectent la population desservie en eau potable. Et pointe notamment le laxisme des distributeurs d’eau… Comme une chercheuse du CNRS vient elle aussi d’agiter le signal d’alarme, on comprend d’autant moins la récente décision de M. Jean-Louis Borloo de faire appel d’un jugement du Tribunal administratif de Rennes, qui avait condamné les préfets des Côtes d’Armor et du Finistère, qu’il estimait responsables des « marées vertes »…Le bilan écologique des cours d’eau ne s’améliore pas en France, la situation a même tendance à empirer. L’Ifen dresse régulièrement depuis 1998 un état de la contamination des eaux par les pesticides.
Le bilan qu’il vient de rendre public est accablant.
En 2005, 819 points ont été contrôlés sur les rivières : 91% d’entre elles présentaient au moins un pesticide, produits phytosanitaires utilisés pour la protection des végétaux, ou biocides pour la protection de biens d’équipements comme le bois de charpente.
La France confirme donc son rang de troisième utilisateur mondial de pesticides derrière les Etats-Unis et le Japon, et de premier en Europe.
Le bilan est tout aussi accablant pour les eaux souterraines : 55% des 1 213 points de contrôle révèlent une concentration de pesticides.
L’étude souligne des niveaux de contamination significatifs : 36% des points de mesure en eaux de surface ont une qualité moyenne à mauvaise, et 25% des points en eaux souterraines ont une qualité médiocre à mauvaise.
« On a vraiment un phénomène de dispersion générale des pesticides dans l’environnement puisqu’on en trouve à peu partout où on en cherche », explique M. Christian Feuillet, responsable de l’unité Etat des milieux à l’Ifen.
« C’est évident pour les eaux superficielles puisqu’on en trouve dans neuf points de mesure sur dix, et c’est également significatif pour les eaux souterraines, même si le taux est plus faible parce qu’elles sont relativement protégées », ajoute-t-il.
L’Ifen n’en tire cependant pas de conclusions concernant l’évolution de la qualité des eaux en France, soulignant que son dispositif d’observation a changé.
Ainsi entre 2004 et 2005, environ 200 points de contrôle ont été rajoutés. S’ils ne sont pas entièrement représentatifs, ces contrôles permettent de donner un aperçu de la contamination des eaux par les pesticides.
Selon M. Feuillet, « 36% des mesures dans les cours d’eau montrent une qualité moyenne à mauvaise et un quart une qualité médiocre à mauvaise, donc on est quand même dans des situations où, sur un nombre significatif de points, l’eau n’est plus propre à un bon usage ».
Comme Mme Hélène Budzinski, responsable du groupe « Physico et toxico-chimie de l’environnement » à l’Institut des sciences moléculaires, laboratoire du CNRS de Bordeaux, interrogée par le Journal du CNRS vient en novembre dernier de lancer un véritable cri d’alarme sur la pollution des eaux, sa mise en garde apparaît salutaire à l’heure du Grenelle de l’environnement….
Un Guide des infections dues à l’eau distribuée
L’Institut de veille sanitaire (InVS) vient pour sa part de publier un guide d’aide à la détection et à l’investigation des épidémies d’infections liées à l’ingestion d’eau de distribution.
Il s’adresse prioritairement aux professionnels des Directions départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass) et aux épidémiologistes des Cellules interrégionales d’épidémiologie (Cire) qui mènent des investigations en cas de suspicion de contamination de l’eau de distribution ou d’identification de cas groupés de pathologies qui semblent être d’origine hydrique.
L’intérêt majeur de l’ouvrage réside dans les recommandations spécifiquement destinées, tant aux médecins généralistes qu’aux exploitants d’eau potable qui sont des « partenaires émetteurs de signaux » et contribuent à l’avancée d’une enquête.
L’InVS souligne en effet qu’actuellement, « les signaux à la source des investigations d’épidémies proviennent essentiellement du contrôle réglementaire de l’eau et de la découverte par des acteurs de terrains (médecins, responsables d’institution, particuliers) de cas groupés de gastro-entérite.
Mais que les signaux issus de l’exploitation de l’eau (pollution accidentelle, panne de traitement) et les plaintes de consommateurs sont en revanche largement sous-utilisés. ».
Le guide souhaite donc, en termes diplomatiques, un accroissement des échanges interdisciplinaires, notamment dans la phase précoce de l’investigation, en espérant des « synergies ».
Des propositions sont donc faites pour une meilleure intégration des informations détenues par l’exploitant dans le processus de détection et de prévention des épidémies…
Seuls les mauvais esprits, dont nous sommes, s’inquiéteront donc de voir l’InVS dénoncer à mots couverts certaine forme de rétention d’information dont se rendraient coupables les opérateurs de la distribution de l’eau, dont la propagande nous assure pourtant, main sur le cœur, qu’ils sont les meilleurs garants de notre santé… (A la vôtre !)
La mort bleue
Et histoire de poursuivre dans la joie et la bonne humeur, un autre ouvrage remarquable, si seulement accessible pour l’heure dans la langue de Shakespeare : « The Blue Death » *, la mort bleue, dont l’auteur nous rappelle que si les grandes épidémies semblent appartenir à l’histoire ou se limiter à quelques pays en voie de développement, le risque qu’un virus comme celui du choléra - qui était endémique à Londres au début du 20ème siècle jusqu’à ce que John Snow découvre qu’il se répandait à travers l’eau potable - se mette à nouveau à décimer les populations occidentales est réel.
C’est avec la description de l’épisode du cryptosporidium qui a causé plus de cent morts dans la ville américaine de Milwaukee récemment que l’épidémiologiste environnemental débute son livre, avant de le poursuivre par la description détaillée du combat héroïque du médecin britannique contre le choléra, auquel il semble s’identifier.
En traquant ensuite le virus dans l’espace et le temps, de l’Égypte à l’Allemagne, en évoquant la lutte des pères fondateurs de la ville de Chicago contre la fièvre typhoïde qui les amena à inverser le cours de la rivière, ainsi que celle des ingénieurs pour garantir une alimentation en eau saine, Robert Morris dresse un portrait inquiétant de l’eau courante qui alimente nos foyers.
Qu’elle transmette des microbes, des toxines, ou qu’elle serve de vecteur de maladies aux mains de bioterroristes, l’eau pourrait selon lui, si elle n’est pas davantage surveillée, devenir un des principaux prédateurs involontaires du genre humain.
C’est pourquoi il offre, en conclusion de son livre que certains jugeront inutilement alarmiste, quelques pistes de solutions collectives ainsi que personnelles, dont celle du filtre dont il recommande à chacun de se munir afin de se préserver de la « mort bleue ».
(*) The Blue Death : Disease, Disaster and the Water We Drink, Dr. Robert D. Morris, HarperCollins, 2007.