Bonjour ,
En juin 2008, Julie Barbeillon publiait dans le n°45 de l'excellent magazine "La maison écologique" un article intitulé "Divine urine, source fertile", qui concernait l'utilisation au jardin de l'urine récupérée des toilettes sèches dites "à séparation" ..
Suite à ce que j'appellerais "un bon article sur une pratique qui l'est moins" .. Joseph Orszàgh et moi voulions réagir afin d'apporter une vision quelque peu différente sur cette pratique et ses enjeux et/ou impacts ..
Notre but n'est pas de polémiquer inutilement, encore moins de critiquer l'article de Julie Barbeillon, mais simplement de proposer au lecteur curieux un argumentaire peu courant mais néanmoins pertinent !
Afin d'apporter un prolongement constructif à ce texte, j'invite les intéressés à participer au débat sur notre forum, par ici ..
Merci
et bonne lecture !
« Divine urine, source fertile »
...et quelques précisions
Une démarche environnementale à reculons
En lisant l'article de Julie Barbeillon dans le numéro 45 de la revue La Maison Écologique, le lecteur pourrait avoir des idées incomplètes, voire erronées concernant l'utilisation des toilettes sèches.
Quand on a fait le tour du problème au point de vue scientifique, on découvre des données surprenantes à propos des différentes toilettes sèches proposées au public. Après avoir admis le caractère polluant des W-C à chasse, je pense qu'il convient d'aller jusqu'au bout de la logique environnementale et examiner les impacts réels des solutions techniques proposées. Notre intervention n'a qu'un objectif: préciser les impacts environnementaux.
Il y a un certain parallélisme entre la mise au point des toilettes sèches et la valorisation énergétique de la biomasse (y compris les bio-carburants). Après la première approche où tout paraît merveilleux, devant les données supplémentaires, il convient d'adapter sa vision aux réalités plus complexes. L'usage d'une toilette sèche à séparation ainsi que la combustion inconsidérée de la biomasse est sans doute un premier pas dans la bonne direction, mais insuffisant pour un monde de développement durable. S'arrêter au premier pas risque de faire une sorte d'obstruction de la démarche vers une conscience écologique élargie.
Un peu d'historique
Quand, lors des Journées Information de l'Eau (JIE), organisées par l'École Polytechnique de Poitiers en 1996, j'ai exposé l'écobilan catastrophique du W-C à chasse et de l'épuration collective, le président de la séance plénière a fait justement remarquer le caractère « utopique » de mes propos. « Il faudrait mettre le canon d'un fusil dans le dos d'un Français pour l'obliger à se mettre sur une toilette sèche! » - disait-il, tout en précisant que théoriquement et scientifiquement j'avais raison. Au nom du pragmatisme et du sens des réalités, on a envoyé mes propositions à l'oubliette. Pourtant, de l'ensemble des exposés il ressortait clairement que la politique de l'eau avec les solutions techniques proposées aboutissait à un impasse.
Si, en matière de toilettes sèches, la position des collègues universitaires n'a guère évolué depuis 1996, le public semble s'intéresser de plus en plus à leur usage. Nombreux sont les Français qui les utilisent – souvent contre l'avis défavorable de la DDASS. Les mentalités évoluent donc et, comme bien souvent au cours de l'histoire, les universitaires, les décideurs politiques et économiques finissent aussi par suivre la partie la plus éclairée du public. C'est à ce prix que les utopies d'aujourd'hui deviennent des réalités de demain.
Déjà il y a plus de 20 ans, François Tanguay, dans son Petit manuel de l'auto-construction a fait le procès du W-C à chasse en insistant le sur le gaspillage d'eau et la pollution. Pourtant, l'essentiel des nuisances des W-C se trouve ailleurs... A peu près à la même époque, j'ai lancé un nouveau type de toilette sèche que j'ai baptisée toilette à litière biomaîtrisée, mieux connue sous l'abréviation TLB (BLT dans les pays anglophones). L'idée de cette dénomination m'est venue lors d'un colloque scientifique organisé par l'École d'Agriculture d'Ath (en Belgique) en 1994 où l'on parlait d'élevages sur litière biomaîtrisée. J'ai réalisé que la toilette que je venais de lancer fonctionnait suivant le même principe que ces élevages. Il s'agissait de la greffe moléculaire de l'urée sur les polymères cellulosiques qui constitue la première étape de la formation de l'humus.
A moins que je me trompe, je suis resté seul à prendre en considération cet aspect scientifique de la pédogenèse, la formation des sols, en rapport avec nos déjections. Si, dans les milieux des spécialistes on admet (et encore...) ce principe pour les déjections animales, lorsqu'on passe aux déjections humaines, les mêmes principes scientifiques ne sont plus de mise. Avec cette découverte nous tenons la clef de la maîtrise absolue de la pollution par les nitrates et aussi celle de nos problèmes d'eau dans le monde. Il est vraiment navrant de constater que personne ne semble vouloir aller dans le sens de la réunion de la biomasse animale et végétale pour la régénération de nos écosystèmes.
Lors d'une rencontre organisée en 2002 par un architecte bruxellois avec des spécialistes danois des toilettes sèches, une discussion vive s'est développée à propos de la réunion ou de la séparation de l'urine et des fèces. L'argument du gendre « les animaux dans la nature urinent et défèquent à des endroits différents » ne tient évidemment pas la route dans une discussion scientifique; « le pouvoir fertilisant de l'urine récolté séparément » non plus. Après plusieurs heures de discussion, les collègues universitaires danois ont fini par admettre la validité scientifique de mon argumentation. Ce n'est pas pour autant qu'ils aient abandonné l'idée de promouvoir l'usage des toilettes à séparation.
Savoir ce que l'on veut...
L'enfer est pavé de bonnes intentions. La critique formulée par les collègues danois à l'encontre de la TLB était basée sur le caractère « contraignant » de son usage. Je cite leur conclusion: « En attendant que le public ait suffisamment de motivation pour gérer une TLB, la toilette à séparation constitue une bonne solution intermédiaire. »
Je suis prêt à admettre que vidanger tous les deux ou trois jours une toilette, voire même tous les jours, peut constituer une contrainte que tout le monde n'accepte pas. Ce que je n'accepte par contre absolument pas est que les collègues universitaires refusent toute recherche pour la mise au point d'une toilette sèche fonctionnant sur le principe de la TLB – le seul principe garantissant la gestion durable de nos déjections. Pourtant, sur le site eautarcie.com, j'ai esquissé plusieurs pistes à suivre pour insérer l'azote et le phosphore de nos déjections dans le cycle de formation des sols.
Argumenter sur le fait que l'usage des toilettes à séparation s'étend en Allemagne et dans les pays scandinaves ne signifie nullement que cette démarche soit juste. La combustion des pellets de bois et la fabrication des biocarburants s'étend aussi, alors qu'il est facile de montrer qu'il s'agit, dans les deux cas, d'une véritable atteinte à la biosphère et d'une aggravation des effets climatiques, sans parler d'autres problèmes posés.
L'idée de la séparation est venue du souci d'espacer les vidanges. Pour ce faire, il a fallu résoudre le problème soulevé précisément par la séparation, à savoir : le problème des odeurs. On a donc mis au point des systèmes ingénieux – et fort coûteux – de ventilation forcée et de dessèchement des fèces.
Quant à la TLB, la maîtrise des odeurs se fait sans artifice technique. Grâce à la présence de l'urine dans la toilette, la cellulose végétale de la litière peut bloquer les réactions enzymatiques générant les odeurs. La simplicité élémentaire est sans aucun doute le défaut majeur de cette toilette. Plus une solution technique est compliquée et chère, plus elle a du succès. Même si elle est inefficace. Les solutions simples et bon marché sont renvoyées d'un revers de main. Sans vouloir mettre des TLB dans les immeubles à appartement, son principe de fonctionnement peut encore être respecté, grâce à une toilette du type tout à fait nouveau: les turbo-toilettes ou T-T, sans la séparation de l'urine.
Lorsqu'on connaît les conséquences environnementales, le choix entre le principe de la TLB et la séparation de l'urine est une question de motivation pour la protection de l'environnement. Pour voir plus clair dans ce débat, il faut connaître les impacts de chaque type de toilette.
Les impacts environnementaux
Pendant le stockage, l'uréase, un enzyme toujours présent dans l'urine, hydrolyse l'urée (carbamide) pour donner des ions d'ammonium et du dioxyde de carbone. Au contact de l'air (par exemple au moment de l'épandage et après), un phénomène d'oxydation a lieu qui produit finalement du nitrate d'ammonium, mais aussi des ions nitrites, particulièrement toxiques dans l'environnement. Le nitrate d'ammonium est un engrais chimique courant. Sa présence massive dans l'urine stocké explique son « pouvoir fertilisant », avec ses avantages (rendements agricoles élevés) et ses inconvénients (pollution par les nitrates, par les nitrites et les ions d'ammonium, la destruction de l'humus – donc la structure – du sol).
Tout jardinier sait que l'urine ne peut pas être utilisé pur aux pieds des plantes sous peine de brûlure des racines. Même les fabricants des toilettes à séparation recommandent sa dilution au moins 8 fois avant l'utilisation dans le jardin. Cette dilution annule partiellement les économies d'eau annoncées réalisable grâce aux toilettes à séparation.
L'épandage de l'urine crée exactement les mêmes conditions que celui du lisier d'élevage. Pendant de longues années, la valorisation agricole du lisier a fait l'objet des débats contradictoires entre éleveurs, agriculteurs et défenseurs de l'environnement. Nul ne conteste à présent le caractère polluant de cette pratique. Le législateur a fini par trancher la question en imposant une limite qui tourne autour de 200 kg d'azote (N) à l'hectare qu'on peut épandre annuellement sur une terre de culture, pas plus. Depuis lors, les éleveurs ont du mal à trouver des terres pouvant recevoir les effluents d'élevage, tandis que certains agriculteurs et surtout les défenseurs de l'environnement estiment que cette limite légale est encore trop élevée: la pollution continue...
Mais que vient faire dans ce débat la toilette sèche? A partir de la composition moyenne des déjections humaines, on peut aisément calculer la quantité d'azote (N) produit par une personne. Cette valeur se situe aux environs de 10 kg d'azote (N) par an par personne (9,5 kg exactement). Il s'agit évidemment d'une valeur moyenne qui dépend fortement de l'alimentation. Une personne à alimentation carnée en rejettera bien plus qu'un Végétarien. On sait également que quatre cinquième de l'azote de nos déjections se trouve précisément dans l'urine.
Pour respecter les normes européennes, l'épandage des effluents d'une toilette à séparation nécessitera une superficie d'environ 5 ares (500 m²) par personne. Une famille de 4 personnes devrait donc disposer d'un jardin de 2.000 m², rarement disponible autour des maisons familiales. L'épandage dans un plus petit jardin enfreint la loi et pollue l'environnement. Même dans un jardin suffisamment grand, on peut soupçonner une pollution.
Le problème principal n'est même pas la pollution. La matière organique de nos déjections n'est pas un déchet dont il faut se débarrasser à tout prix. Elle fait partie de l'écosystème qui fournit notre alimentation. La reconduction de cette matière précieuse passe obligatoirement par un système correct de compostage. Celui-ci se fait en présence d'une grande quantité de cellulose végétale, pour fixer le rapport carbone/azote (C/N) à 60. De plus, la matière azotée de la biomasse « animale » (nos déjections en font partie) doit entrer en contact avec les polymères cellulosiques dès leur émission. En tout cas, avant l'action des différents enzymes qui minéralisent l'azote et le phosphore (et dégagent les odeurs). Le stockage de l'urine soustrait l'azote organique du processus de formation de l'humus. La nuisance majeur des W-C, mais aussi celle des toilettes à séparation n'est même pas la pollution, mais la destruction de cette matière organique et sa soustraction aux grands cycles naturels.
Un autre impact environnementale des toilettes à séparation est la consommation d'énergie électrique pour assurer la ventilation et parfois pour le séchage des fèces. Les promoteurs de ces toilettes appellent volontiers « compost » les fèces desséchées, ci qui en dit long sur l'étendu de leur ignorance en matière de pédogenèse.
Nos déjections: quantité « négligeable »?
On argumente souvent sur la prédominance de la pollution azotée agricole par rapport à celle issues des ménages. Dans certains cas, cette argumentation est valable. A l'échelle planétaire ce n'est plus vrai.
Une étude réalisée en 2000 à l'Université de Louvain en Belgique, cite une donnée de base d'une importance capitale: l'azote contenu dans les déjections de l'humanité représenterait un montant équivalent à 40 % de l'azote utilisé dans l'agriculture mondiale. En 2008, ce chiffre est probablement plus élevé. Dans la logique de développement durable, nous ne pouvons plus nous permettre le luxe de détruire la matière organique de nos déjections sous prétexte d'épuration (même par les plantes) ou de « fertilisation » à la manière d'un engrais de synthèse ou de lisier. La toilette à séparation représente cette dernière option.
Chaque kilogramme de matière organique animale (humaine) et végétale est nécessaire pour le maintien de la structure humique des terres agricoles. Ce n'est même pas une question de fertilisation, mais le maintient tout court de cette activité qui nourrit l'humanité.
Principe de la TLB: chemin vers un monde durable
La situation est différente lorsqu'on applique le principe de la TLB, à savoir la réunion à la source de la matière organique azotée animale (humaine) et la matière carbonée végétale. L'urée et les autres composés organiques azotés sont directement fixés chimiquement sur la cellulose. Dès lors, les enzymes qui les minéraliseraient n'y ont plus accès. Pendant le compostage correct, l'azote et le phosphore de nos déjections, au lieu d'être transformés en engrais chimique et pollution, entrent dans le processus de formation de l'humus. Les pertes d'azote sont minimes, la pollution presque inexistante, même sous le tas de compost correctement mené.
Dans les zones urbaines, pour appliquer le principe de la TLB, il ne faut pas nécessairement avoir recours aux toilettes TLB qui sont en usage actuellement. Les effluents des toilettes à broyeur avec chasse à haute pression, toilettes que j'ai baptisées turbo-toilettes ou T-T, peuvent servir à imprégner une litière cellulosique dans des installations collectives. Cette litière pourrait être faite de déchets verts urbains, des cartons d'emballage déchiquetés, de déchets de papiers souillés. Le cas échéant, on pourrait y associer aussi des déchets forestiers et même la partie fermentescible des ordures ménagères (40 - 45 % de la masse des déchets urbains). Le restant des déchets (notamment les matières plastiques) pourraient alors plus facilement être valorisé, même pour la production d'énergie. Au niveau de nos connaissances actuelles, l'application du principe de la TLB semble être une option incontournable pour bâtir un monde durable. Dans un tel monde, ni l'épuration telle qu'on la pratique actuellement, ni les W-C à chasse, ni les toilettes à séparation n'ont plus de place.
Joseph Országh
Mons, le 18 juin 2008.
Pour en savoir plus, consulter le site eautarcie.com
Merci de votre attention ..
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